Voici pourquoi la cote des femmes artistes va exploser

Souvent marginalisées, éclipsées par leurs confrères masculins et moins prises en compte par les institutions, les artistes femmes du passé suscitent un intérêt croissant sur le marché de l’art. Célébrées par les chercheurs, redécouvertes par les musées et mises en valeur dans les plus grandes expositions, elles battent aujourd’hui des records aux enchères.
Women in Abstraction au Centre Pompidou (2021), Pioneers à la Tate Modern (2022) ne sont que des expositions parmi d’autres qui montrent cette dynamique. Dans son article « Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grandes artistes femmes ? », en 1971, Linda Nochlin tentait de pointer les obstacles structurels de l’invisibilisation des femmes dans l’histoire de l’art, liés notamment aux académies, à la commande, au nu académique et au réseau des galeries. Pourtant, les bouquets d’Anne Vallayer-Coster et l’abstraction lyrique de Janett Sobell n’ont rien à envier à leurs homologues masculins.
La relecture de l’histoire de l’art a poussé la réintégration de figures oubliées, comme Artemisia Gentileschi, Élisabeth Vigée le Brun, Rosa Bonheur, Berthe Morisot, Mary Cassatt, et bien d’autres, dont les œuvres promettent de grandes enchères.
Les records d’adjudication témoignent d’un réveil du marché.
· La toile Die Tänzerin (vers 1923) de Paula Modersohn-Becker a dépassé 6 millions d’euros en 2023 chez Grisebach, à Berlin.
· La Récolte des haricots (1885) de Rosa Bonheur a été adjugée 2,1 millions d’euros chez Sotheby’s en 2022.
· En 2018, une œuvre de Frida Kahlo, Diego y yo, a franchi les 34,9 millions de dollars chez Sotheby’s New York — un record pour une artiste latino-américaine.
Ces chiffres, qui peuvent sembler loin d’un Dubuffet ou d’un Pollock, illustrent déjà une pente ascendante qui est alimentée par une demande internationale croissante.

Une relecture critique est portée par les institutions et les chercheurs, comme Rozsika Parker, Griselda Pollock ou Whitney Chadwick ont contribué à revaloriser l’histoire des artistes femmes. Les musées ont suivi : le MoMA, la National Gallery de Londres mais aussi le Musée d’Orsay ont intégré ces artistes à leur programmation, si ce n’est la revoir complètement. La multiplication des monographies universitaires a également consacré cette visibilité.
Les artistes femmes que le monde de l’art est en train de redécouvrir sont le vecteur d’une dynamique spéculative à long terme, les collectionneurs cherchent des valeurs encore accessibles dans un marché parfois saturé.
De nombreuses artistes femmes restent encore sous-cotées par rapport à leurs homologues masculins. L’effet de rareté joue également, puisque les œuvres disponibles sur le marché sont plus rares, donc plus convoitées. Les musées régionaux, les fondations et les mécènes orientent déjà leurs acquisitions afin d’obtenir une plus grande parité historique dans leurs collections.
Le marché de l’art a déjà mis en valeur de nombreux cas emblématiques de redécouverte posthume, qui ont permis d’alimenter la recherche :
· Hilma af Klint, quasiment inconnue avant 2013, est aujourd’hui considérée comme pionnière de l’abstraction. Une œuvre a été vendue plus de 1,3 million d’euros en 2023.
· Alice Neel, longtemps reléguée à un statut marginal, a vu sa cote grimper après sa rétrospective au Metropolitan Museum. Une de ses toiles est partie à plus de 4 millions en 2022.
· Lavinia Fontana, peintre de cour au XVIe siècle, a récemment vu une de ses toiles dépasser les 400 000 € — un montant impensable il y a vingt ans pour une femme de cette époque.
Il ne s’agit pas de réécrire l’histoire ou de miser sur les œuvres des artistes femmes pour faire un « rattrapage historique », mais de prendre en compte une correction du canon qui suit les logiques propres à l’histoire de l’art. Pour elles, mais aussi pour l’histoire de l’art dans son intégralité, pour la cohérence des mouvements artistiques et la richesse des théories qui ont façonné les plus grands courants du marché.
De nombreuses artistes femmes sont aujourd’hui simplement et justement replacées dans leur contexte historique exact, pas comme exceptions, ce qu’elles n’ont d’ailleurs jamais été et ce qu’elles ne sont toujours pas, mais comme actrices à part entière des courants majeurs. Berthe Morisot n’est pas une peintre impressionniste, elle est cofondatrice du groupe et expose dès 1874.
Natalia Gontcharova est aujourd’hui identifiée comme cofondatrice du rayonnisme (antérieur au suprématisme) alors qu’elle fut longtemps présentée comme marginale. Sonia Delaunay est réévaluée dans la genèse de l’abstraction colorée orphique.
Ce sont des précisions et des remises en contexte qui ont un impact direct sur la cote, parce qu’elles restaurent une continuité historique. Les collectionneurs tiennent effectivement à acheter des noms intégrés à une histoire balisée (futurisme, cubisme, abstraction, néo-classicisme).


La visibilité accrue dont bénéficient bon nombre de ces œuvres actuellement dans les expositions de référence est un moteur décisif de la cote des artistes. Le cycle de valorisation commence en effet dans les musées, puisqu’une exposition monographique ou thématique bien reçue, accompagnée d’un catalogue rigoureux, précède toujours une hausse de prix significative. Quelques exemples :
- Paula Modersohn-Becker, après ses rétrospectives à Brême (2007) puis à Paris (2016), a vu ses œuvres passer de 500 000 à plus de 5 millions d’euros (Grisebach, 2023).
- La rétrospective Hilma af Klint au Guggenheim (2019) a non seulement battu les records de fréquentation, mais elle a surtout permis à ses œuvres de dépasser le million en vente privée.
- Maruja Mallo, redécouverte dans le sillage du surréalisme espagnol, voit aujourd’hui ses œuvres entrer dans les grandes collections muséales — prélude à une valorisation future.
Gardons en tête qu’une cote ne naît que rarement du marché seul, mais est bien souvent fabriquée par les instituions.
Pour le moment, l’offre est extrêmement limitée et contrôlée. La plupart des artistes femmes ont laissé une production limitée. Les œuvres en circulation sont peu nombreuses car les musées ont absorbé une grande partie des œuvres, ce qui provoque une tension sur l’offre. Il faut ajouter à cela une provenance souvent impeccable, car les œuvres sont souvent restées dans la famille ou ont été transmises en ligne directe. Il s’agit d’un facteur de plus en plus scruté pour les acheteurs. Il s’agit donc d’une configuration de marché typique des hausses de cote durables (offre faible, qualité élevée et rareté institutionnelle).
Les prix sont encore sous évalués par rapport à des profils masculins équivalents. Il existe encore des différentiels de prix significatifs entre des artistes ayant le même impact historique. Les collectionneurs perçoivent par conséquent ces écarts comme des opportunités de réévaluation, permettant au marché d’agir par arbitrage. L’intérêt muséal et académique croissant inscrit également ces artistes dans une valeur durables, puisque les catalogues raisonnés sont désormais disponibles pour de plus en plus d’artistes, et les œuvres sont de mieux en mieux documentées.
De nombreux critères objectifs convergent ainsi. La hausse de la cote des artistes femmes peut s’expliquer aujourd’hui par une combinaison claire de facteurs. D’abord, une réinsertion historique rigoureuse dans les grands courants, une institution muséale soutenue avec des cycles d’exposition, une rareté de l’offre et une provenance solide qui sont favorables à l’investissement, et enfin un écart de prix parfois injustifié par rapport à des artistes équivalents, qui attire la spéculation haut de gamme.
Ainsi, il ne s’agit effectivement pas d’ajouter quelques noms oubliés à une liste, mais il ne s’agit pas non plus de réécrire toute l’histoire. Pour l’art et pour l’histoire de l’art, il s’agit d’enrichir les courants, d’établir des liens entre les œuvres de Jean Metzinger et Anne Dangar, de Janet Sobell et de Jackson Pollock, d’enrichir la recherche et de mettre en valeur des œuvres qui méritent d’être vues, collectionnées et achetées, parce qu’elles constituent certainement une pièce unique d’un courant et célèbrent à chaque instant le talent de l’artiste qui l’a créé.
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