Une exceptionnelle Vierge de tendresse alsacienne présentée aux enchères
Ce 20 novembre à l'Hôtel Drouot, sera présentée une exceptionnelle Vierge de tendresse de la seconde moitié du XVème siècle alsacienne. Expertisée par Pierre-Antoine Martenet et dans un état de conservation remarquable, elle pourrait atteindre des enchères record.

Le 20 nouvembre 2023, une rare découverte sera mise à l'honneur puis vendue sous le marteau de Maître Béral à Drouot. Ce tableau exceptionnel a été expertisé chez un particulier alsacien.
Ce lot a été authentifié par l'équipe d'Auctie's et l'expert en tableaux anciens, Pierre-Antoine Martenet, cabinet Quirinal.
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Redécouverte d'une rare et précieuse Vierge médiévale alsacienne, contemporaine de Martin Schongauer, rescapée de l'Iconoclasme
L'oeuvre que nous avons le plaisir de présenter à la vente est un rare témoignage de ce foyer artistique foisonnant que fut l'Alsace de la seconde moitié du XVe siècle, territoire de confluences, riche, cultivé, qui comptait en Strasbourg une des plus grandes villes du monde germanique.
L'étude de la peinture dans le Rhin supérieur au XVe siècle pose de nombreux problèmes aux historiens, car la localisation précise des oeuvres dans les différents centres artistiques de cette région (Bale, Fribourg-en- Brisgau, Colmar, Strasbourg, Haguenau) est loin de faire l'unanimité. Si les sculpteurs alsaciens ont été bien étudiés (Nicolas Gerhaert de Leyde, Nicolas de Haguenau), la production picturale alsacienne du XVe siècle, qui a considérablement souffert des ravages de l'iconoclasme de la prétendue Réforme (1524-1530), nous est moins familière. Notre Vierge de Tendresse est une image hybride, tant dans sa forme propre - unique - que dans ses sources, vraisemblablement multiples. Sur le plan de la forme, elle semble un jalon d'évolution entre trois modes de représentation de la Vierge à l'Enfant, hérités du monde byzantin.
Particularités de la composition
Notre Vierge montre une évolution formelle par la représentation naturaliste de deux élans affectifs réciproques entre la Mère et l'Enfant. La main gauche de l’Enfant se pose délicatement sur le menton de sa mère, tandis que sa main droite, qui souvent fait le geste de la bénédiction, ou tient en sa main une pomme, symbole du Salut et du paiement de la dette adamique, se fond, dans un geste de rencontre avec la main gauche de sa Mère.
Recontextualisation stylistique de la Vierge de tendresse
Dans ses sources plus récentes, notre Vierge de Tendresse est un parfait exemple de ce contexte de gothique international animé par des artistes souvent nomades, qui se croisent lors de leurs tours de compagnonnage ou, de cours en cités, à la recherche de commanditaires.
C’est, en Alsace, le cas par exemple d’Ulrich d’Ensingen, maître d’œuvre de la cathédrale de Strasbourg à partir de 1499, qui travaille aussi à Ulm, Esslingen, Bâle et Milan. Hans Hertsnabel, un artiste originaire de Strasbourg, est mentionné à la cour pontificale d’Avignon en 1377. Hans Tiefental, peintre né à Sélestat, a séjourné à la cour ducale de Bourgogne : il travaille ensuite à Bâle entre 1418 et 1423. Ces artistes s'observent scrupuleusement, s'empruntent des motifs, réalisent des variations sur un même thème : cette époque est - plus qu'aucune autre - celle de la circulation des modèles.
Parmi les artistes qui nous semblent avoir précédé et influencé l'auteur de notre Vierge de Tendresse, nous voudrions citer Jost Haller, qui apparait peu avant 1440 dans la ville de Strasbourg, identifié en 1980 par Charles Sterling et dont la connaissance s'avère essentielle pour une meilleure compréhension de la peinture alsacienne du XVe siècle. Jost Haller a quitté Strasbourg entre 1447 et 1450, a travaillé à Metz et s'est installé à Sarrebruck où il est encore mentionné vers 1470. Un panneau latéral de retable, conservé à Dijon (Musée des Beaux-Arts, inv. D91), considéré depuis peu comme étant de son
"entourage", représentant sainte Agnès et sainte Émérentienne, nous semble présenter, dans la morphologie des visages, une certaine proximité stylistique (ovale régulier, front très haut, ensemble yeux nez-bouche très concentré sur la moitié inférieure du visage, petite bouche aux lèvres épaisses).

Datation et localisation
Nous serions enclin à dater notre Vierge de Tendresse avant la production de retables prolifique du XVème siècle, davantage dans la décennie 1460.
Ce qui la situerait comme étant contemporaine -voire éventuellement un petit peu antérieure- de l'artiste incontournable de cette Alsace pré-Renaissante : Martin Schongauer (1440/1445 - 1491) ayant installé son atelier à Colmar en 1471.
Sa Madone au croissant (un exemplaire à Londres, British Museum, dont la datation se situe entre 1469 et 1473, nous semble témoigner d'un regard proche, bien que Schongauer initie cette veine de représentations mariales détachées d'un environnement "terrien" et architecturé, mais se place déjà dans une ambiance "apocalyptique", où le monde surnaturel s'invite dans l'image : nuée abstraite, croissant, couronnement par les anges, rayonnement, etc.

Notre Vierge de Tendresse réservera certainement encore des découvertes aux historiens qui voudront se pencher sur son destin de plus de cinq siècles. Si peu d'oeuvres médiévales de cette si féconde région nous sont parvenues, à cause des turpitudes historiques et du fanatisme iconoclaste, qu'il faut voir dans la réapparition de notre Vierge -qui plus est dans un état de conservation remarquable- une heureuse nouvelle pour la connaissance de l'art alsacien.
Remerciements
Nous tenions à remercier tout particulièrement notre vendeur pour les précieux détails fournis sur la provenance et l’histoire de cette Vierge de tendresse, mais aussi notre expert, Pierre-Antoine Martenet, pour ses renseignements indispensables.
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