REDÉCOUVERTE MAJEURE D’UN BISCUIT DE SÈVRES DU XVIIIe SIÈCLE

Auctie's et Maxime Charron sont heureux de vous présenter:
MANUFACTURE ROYALE DE SÈVRES, XVIIIe siècle
« L’Empereur de la Chine » - Portrait de l’empereur Qianlong (1711-1799)
Biscuit de porcelaine dure.
Entre 1775 et 1779.
Attribué à Josse-François-Joseph LE RICHE (1741-1812), sous la direction de Louis-Simon BOIZOT (1743-1809).
Marques en creux sur le socle « B » (pour Boizot) et « 9 » (numéro de moule).
Quelques éclats et manques au socle.
H. 40,5 x L. 14,5 x P. 14 cm.
Provenance
Un des treize biscuits au portrait de « L’Empereur de la Chine » réalisés par la Manufacture royale de Sèvres entre 1775 et 1779, et l’un des trois connus à ce jour.
Collection privée française, cité dans une attestation d’expertise de la Manufacture nationale de porcelaine de Sèvres le 6 juillet 1883 : « L’Empereur de Chine / Modèle de Sèvres de 1760 à 1780 (sic) / Biscuit en porcelaine pâte tendre (sic), modèle très rare et d’une grande valeur. L. Lenoy, commis principal Musée Céramique de Sèvres ».
M. Poulet, antiquaire à Versailles.
Achetée 6000 francs le 14 décembre 1929 par Madame la Comtesse Claude de Choiseul-Praslin, née Yvonne Tempez (1895-1982), auprès de M. Poulet (facture jointe). Puis à son filleul (donné vers le 19 juillet 1960), père de l’actuelle propriétaire.
Oeuvres en rapport
Un exemplaire numéroté « 20 », H. 40,5 cm, est conservé au Musée des Arts Décoratifs, Paris (inv. 23723, Legs Adèle Michon, 1923).
Un exemplaire numéroté « 17 », H. 40,6 cm, est conservé au Museum of Fine Arts, Boston (inv. 2003.119).
La terre cuite originale de 1775 sous la direction de Boizot est conservée au Musée National de Céramique, Sèvres (inv. MNC 12971).
Liste des 13 destinataires du biscuit de L’Empereur de la Chine livrés selon les archives de la Manufacture de Sèvres
Madame la duchesse de Mazarin, le 10 août 1776 (Vy 7, fol. 118 v°).
Marie-Antoinette, reine de France, en 1776 (Vy 6, fol. 208 v°).
Madame Adélaïde, tante de Louis XVI, en 1776, à Versailles (Vy 7, fol. 128).
Un exemplaire vendu au comptant le 21 décembre 1776 (Vy 6, fol. 118).
Un exemplaire vendu au comptant le 22 décembre 1776 (Vy 6, fol. 120).
Un exemplaire vendu au comptant le 27 décembre 1776 (Vy 6, fol. 130).
Monsieur le prince de Croÿ (avec un pied de 48 livres), le 23 mai 1777 (Vy 6, fol. 186).
Au marchand Grouet, première moitié de l'année 1777 (Vy 6, fol. 223).
Madame la comtesse d’Artois, le 28 décembre 1777, à Versailles (Vy 6, fol. 246 v°).
Madame de Durfort, le 11 décembre 1777 (Vy 7, fol. 111 v°).
Un exemplaire vendu au comptant le 16 décembre 1778 (Vy 7, fol. 58).
Monsieur L’ambassadeur de Sardaigne, le 27 avril 1779 (Vy 7, fol. 137).
Un exemplaire vendu au comptant le 26 mai 1779 (Vy 7, fol. 144).
Historique
Différant des « chinoiseries » exécutées au XVIIIe siècle à la Manufacture de Sèvres, cette statuette n’est pas une figure de fantaisie mais un véritable portrait, et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit de celui de l’empereur de Chine Qianlong (règne, 1735-1796). Il s’inspire d’une aquarelle aujourd’hui perdue du père Panzi, jésuite attaché à la cour de Pékin, prêtée à la manufacture par le secrétaire d’État Henri Bertin (1720-1792). Ce dernier fut un client de premier ordre qui n’hésita pas à influer sur les choix artistiques de la production de Sèvres, suggérant des décors et apportant des modèles à la manufacture. Érudit passionné par la Chine, Bertin finança la publication des Mémoires concernant l’histoire, les sciences, les arts les moeurs, les usages, etc. des Chinois / Par les missionnaires de Pékin, sous la direction de Joseph-Marie Amiot (1718-1794), parus en quinze volumes de 1776 à 1791 (1814 vit la sortie d’un dernier tome). La gravure de Martinet, présentée sur le frontispice du premier tome du recueil, reprend le portrait de Qianlong du père Panzi (voir illustration). L’aquarelle du jésuite servit également de modèle pour des tableaux peints sur porcelaine ; en 1776, une première plaque, peinte par le peintre Charles-Éloi Asselin, fut vendue au roi Louis XVI au prix considérable de 480 livres (aujourd’hui conservée au château de Versailles (voir illustration). Une seconde fut envoyée accompagnée d’un exemplaire du biscuit de L’Empereur de Chine via Bertin comme cadeau diplomatique du roi Louis XVI en 1781 mais il semble que M. Panzi ne les livra pas. En effet, dans une lettre qu’Amiot écrit à Bertin le 15 novembre 1784, il indique : « Je me suis informé auprès de M. Panzi de l’usage qu’il avoit fait de la statue en pied de l’empereur, et du portrait peint sur porcelaine de ce prince. Il m’a répondu qu’il garde la statue dans sa chambre et qu’il ne se rappelle plus de ce qu’est devenu le portrait… ». Bertin acquît personnellement une troisième plaque le 17 octobre 1785 pour la somme de 192 livres.
Vraisemblablement élaborée au cours de l’année 1775 (selon Tamara Préaud), la statue de « l’Empereur de la Chine » est attribuée au sculpteur Josse-François-Joseph Le Riche, modeleur à Sèvres de 1757 à 1801, sous la direction de Louis-Simon Boizot, directeur de la sculpture à Sèvres de 1773 à 1809. Bien qu’aucun document d’archive ne vienne confirmer cette attribution, la présence des initiales « LR » de Le Riche sur l’un des deux autres exemplaires connus (celui de Boston, voir ci-dessus) nous permet de l’affirmer. Le premier exemplaire en biscuit sorti des ateliers de Sèvres fut vendu en août 1776 à la duchesse de Mazarin, née Louise-Jeanne de Durfort de Duras (1735-1781), réputée pour la collection d'objets d'art qu'elle commanda aux artistes de son temps. L’oeuvre était proposée au prix de 72 livres, somme relativement modeste mais qui s’explique par la simplicité de la figure qui requérait sept moules pour sa fabrication, alors que les groupes les plus ambitieux en nécessitaient jusqu’à cent.
La production de petite sculpture en biscuit, c’est-à-dire sans couverte, avait assuré à la manufacture le prestige d’un nouveau matériau céramique, à la surface blanche finement polie évoquant le marbre. Son développement à partir du milieu du siècle fut tel qu’en 1757 la manufacture nomma un directeur de la sculpture, poste tenu jusqu’en 1766 par Étienne-Maurice Falconet (1716-1791), alors remplacé par le peintre Jean-Jacques Bachelier (1724-1806) jusqu’en 1773, puis par le sculpteur Louis-Simon Boizot (1743-1809) qui l’occupa jusqu’à sa mort.
Au sein de cette production exportée puis imitée dans toute l’Europe, l’Empereur de la Chine, malgré le prestige de ses principaux acheteurs connut un succès limité puisque seuls treize exemplaires en furent vendus (voir ci-dessus). L’austérité de ce portrait d’un souverain étranger, empreint d’une ironique sagesse, avait sans doute dérouté les clients, habitués à des créations plus aimables (l’Empereur porte ici une pelisse de fourrure qu’il était le seul à pouvoir porter et un bonnet de fourrure noire). Mais elle n’avait pas détourné la manufacture de la création de ces effigies de princes de royaumes lointains, puisque en 1787, Boizot modelait la statuette d’une figure en pied d’un jeune Prince de Cochinchine « afin de piquer la curiosité par du nouveau ». Le premier exemplaire fut vendu au roi à la fin de l’année, au même prix que la figure de Qianlong. À ce jour et à notre connaissance, le présent modèle est le seul conservé en mains privées ; seuls deux autres des treize exemplaires sont connus et localisés : l’un est conservé au musée des arts décoratifs de Paris et l’autre au Museum of Fine Arts de Boston. Celui des Arts Décoratifs ne comporte pas de lettre incisée tandis que celui de Boston présente les initiales de Le Riche ; le nôtre présente lui l’initiale « B » du directeur Boizot. Cette marque prouve à elle seule l’exécution de l’oeuvre à la manufacture de Sèvres au XVIIIe siècle. Quant au numéro « 9 » figurant sur le socle, d’après Antoine d’Albis, ancien directeur de la manufacture de Sèvres, il pourrait correspondre à un numéro de moule ayant servi à l’exécution de la statue. En effet, les sculpteurs à Sèvres utilisaient différents moules pour chaque oeuvre. Le modèle du musée des Arts décoratifs est marqué du chiffre « 20 » en creux, et celui de Boston du chiffre « 17 ». Cette sculpture rarissime représentant l’empereur Qianlong est un témoignage des plus importants illustrant les relations anciennes entre la France et la Chine. Les différentes expositions récentes consacrées aux échanges entre les deux pays montrent bien l’importance de ces liens, notamment celle de Versailles en 2014 et celle de la Cité interdite de Pékin en 2022 ; c’est également l’objectif de l’exposition actuelle « Le château de Versailles en Chine », qui se tient à la Cité interdite du 1er avril au 30 juin 2024, à l’occasion de l’année du 60e anniversaire des relations diplomatiques entre la France et la Chine.
Littérature
Émile Bourgeois, Le biscuit de Sèvres au XVIIIe siècle, Paris, Goupiol & Cie, 1909.
- Tamara Préaud (art.), Sèvres, la Chine et les « chinoiseries » au XVIIIe siècle. The Journal of the Walters Art Gallery, vol. 47, 1989, pp. 39-52.
- Louis-Simon Boizot (1743-1809) : sculpteur du roi et directeur de l’atelier de sculpture à la Manufacture de Sèvres, catalogue d’exposition, Versailles, musée Lambinet, Paris, Somogy, 2001.
- Cat. expo., La Chine à Versailles. Art et diplomatie au XVIIIème siècle, Château de Versailles, 27 mai - 26 octobre 2014, Somogy, Paris, 2014.
- Cat. expo. (Chine), Trois siècle d’élégance : 1740-2015 - Manufacture de Sèvres. Musée Jinsha Site, Chengdu, Chine, 17 octobre - 17 décembre 2015.
- Visioconférence donnée par Madame Chaoying LEE, professeur associé au Département des relations et cultures ethniques de l’Université nationale de Dong Hwa (Taïwan), Amis de Sèvres, 10 octobre 2023 : « Les cadeaux diplomatiques - sous forme de porcelaine - de la cour de France à l’empereur Qianlong, décrits dans la correspondance entre le ministre Henri Bertin et les missionnaires jésuites à la cour de Pékin, au XVIIIème siècle ».
Expert : Maxime Charron

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